Une forme de poésie engagée, débridée et incisive
En fracturant la syntaxe, en métissant le vocabulaire, en triturant la grammaire, les rappeurs français affirment l'expression directe de la parole urbaine, le paradis des mots que l'on assène comme des uppercuts pour rendre compte d'une réalité sociale propre à la France. Brassant le français populaire, le verlan, le maghrébin, l'anglais, le manouche, les langues africaines ou le langage des médias, les rappeurs, à l'instar des chantres de l'art brut, assemblent leurs textes comme des ferrailleurs de la langue, valorisant le bric-à-brac lexical de la France d'aujourd'hui et recyclant les mots de fortune. C'est sur ce terreau qu'ils échafaudent leur propre mode d'expression, unique, spontané, à mi-chemin entre poésie moderne et tradition orale. Le rap est avant tout un flot de paroles, libres de tout carcan académique. Les rappeurs osent ce que peu d'écrivains peuvent oser, jouent avec les rimes en à-peu-près, utilisent des mots nouveaux avec une musicalité virevoltante. C'est l'essence même de leur art, qui ne s'embarrasse pas de contraintes et mise tout sur le talent de l'improvisation et du slogan.
Dans ces tranches de vie urbaines, pas de verbiages, d'états d'âme ou de palabres inutiles, mais le témoignage urgent d'une jeunesse aux abois, honnie, méprisée, déconsidérée, victime de la xénophobie dans une France en crise, dépassée. Les rappeurs abordent sans pudeur les spectres de cette fin de siècle : la drogue, le sida, la précarité, le chômage, le racisme ordinaire. Leurs textes écrits comme des réquisitoires sans appel prônent la lutte contre le système répressif, dénoncent l'iniquité du système éducatif. C'est l'anti-langue de bois, ennemie naturelle du politiquement correct et du « novlangue » de la société du spectacle. Cette « giclée », comme écrivait Cocteau à propos du style d'Albert Simonin, s'est imposée dans le champ des médias par sa pertinence et sa perfection dans le raccourci. Les rappeurs n'ont rien à perdre : ils n'ont rien. Mais ils ont tout à gagner, et ils le scandent.
Dans ces tranches de vie urbaines, pas de verbiages, d'états d'âme ou de palabres inutiles, mais le témoignage urgent d'une jeunesse aux abois, honnie, méprisée, déconsidérée, victime de la xénophobie dans une France en crise, dépassée. Les rappeurs abordent sans pudeur les spectres de cette fin de siècle : la drogue, le sida, la précarité, le chômage, le racisme ordinaire. Leurs textes écrits comme des réquisitoires sans appel prônent la lutte contre le système répressif, dénoncent l'iniquité du système éducatif. C'est l'anti-langue de bois, ennemie naturelle du politiquement correct et du « novlangue » de la société du spectacle. Cette « giclée », comme écrivait Cocteau à propos du style d'Albert Simonin, s'est imposée dans le champ des médias par sa pertinence et sa perfection dans le raccourci. Les rappeurs n'ont rien à perdre : ils n'ont rien. Mais ils ont tout à gagner, et ils le scandent.
les rappeurs français, ou les nouveaux poètes maudits
Le rap de l’hexagone a une géométrie variable. Cette prose dissidente oscille entre indécence et lyrisme, puissance et dérive. Le mythe sulfureux de ce trio sémantique s’édifie sur la fureur d’une génération en désaveu. Kaléidoscope musical, il est pourtant décrié ou encensé. Le juste milieu n’existe pas. Les rappeurs français sont-ils les nouveaux poètes maudits ? Portrait d’une émeute musicale.
Essence et carburant
La genèse du rap se dissimule dans une alcôve orpheline. Originaire des États-Unis, la culture hip-hop prospère en France dans les années 80 à travers plusieurs modes d’expression comme le graffiti, le breakdance et le rap. D’ailleurs, les promos des opus et des collectifs se sont faites grâce aux graffitis, comme ce fameux tag « 93 NTM » qui a décoré les murs de Paris et les vitres des métros.
Pour son nouvel album Transe-lucide, Disiz a utilisé le même principe, hommage à la tradition de publicité illicite. Le rap est marginal mais il est conquérant. Dans un contexte de pauvreté et d’inégalités sociales, le rap ne pouvait être que militant. Mais cet engagement se manifeste par des paroles. Le débit de syllabes façonne le rythme brutal. L’essence du rap est alors prise dans le cadenas d’une identité précise. En bref, le rap est un AK-47 musical.
De l’authenticité
Les artistes dessinent des fragments autobiographiques sur des partitions : « Mon rap vient de mes entrailles / mon rap porte une balafre / mon rap vient de mes entailles » (Kery James, « Le retour du rap français »). La rime consent à l’exorcisme des fantômes. Les sonorités agressives révèlent une oppression inacceptable.
Pour Disiz, le rap « n’est dû qu’à un déterminisme social. Étant né à la fin des années 70 et ayant vécu en banlieue sud de Paris dans une Zup, il était difficile pour quelqu’un de curieux comme moi de passer à côté de ce mode d’expression, mais plus encore de cette tornade d’énergie qu’est la culture hip hop. » Dans Rester vivant, Michel Houellebecq écrit : « Toute souffrance est bonne / toute souffrance est utile / toute souffrance porte ses fruits / toute souffrance est un univers ». Et justement, la révolte rap se nourrit de souffrances. Il est une réaction contre une société assassine : « C’est au nom de l’enfant d’hier que mon insolence vous salue » (Keny Arkana, « Vie d’artiste »).
Immergés dans une torpeur acide, les jeunes dissipent leur lassitude dans des chansons spontanées. La rue est le centre névralgique du rap et c’est sur le bitume que se sculptent ces albums à la fureur viscérale. Pourquoi ? Parce que le ghetto c’est cette banlieue terne, immobile, exclue, ignorée et pauvre : « banlieusards et prolétaires », selon les propres mots de Kery James.
Essence et carburant
La genèse du rap se dissimule dans une alcôve orpheline. Originaire des États-Unis, la culture hip-hop prospère en France dans les années 80 à travers plusieurs modes d’expression comme le graffiti, le breakdance et le rap. D’ailleurs, les promos des opus et des collectifs se sont faites grâce aux graffitis, comme ce fameux tag « 93 NTM » qui a décoré les murs de Paris et les vitres des métros.
Pour son nouvel album Transe-lucide, Disiz a utilisé le même principe, hommage à la tradition de publicité illicite. Le rap est marginal mais il est conquérant. Dans un contexte de pauvreté et d’inégalités sociales, le rap ne pouvait être que militant. Mais cet engagement se manifeste par des paroles. Le débit de syllabes façonne le rythme brutal. L’essence du rap est alors prise dans le cadenas d’une identité précise. En bref, le rap est un AK-47 musical.
De l’authenticité
Les artistes dessinent des fragments autobiographiques sur des partitions : « Mon rap vient de mes entrailles / mon rap porte une balafre / mon rap vient de mes entailles » (Kery James, « Le retour du rap français »). La rime consent à l’exorcisme des fantômes. Les sonorités agressives révèlent une oppression inacceptable.
Pour Disiz, le rap « n’est dû qu’à un déterminisme social. Étant né à la fin des années 70 et ayant vécu en banlieue sud de Paris dans une Zup, il était difficile pour quelqu’un de curieux comme moi de passer à côté de ce mode d’expression, mais plus encore de cette tornade d’énergie qu’est la culture hip hop. » Dans Rester vivant, Michel Houellebecq écrit : « Toute souffrance est bonne / toute souffrance est utile / toute souffrance porte ses fruits / toute souffrance est un univers ». Et justement, la révolte rap se nourrit de souffrances. Il est une réaction contre une société assassine : « C’est au nom de l’enfant d’hier que mon insolence vous salue » (Keny Arkana, « Vie d’artiste »).
Immergés dans une torpeur acide, les jeunes dissipent leur lassitude dans des chansons spontanées. La rue est le centre névralgique du rap et c’est sur le bitume que se sculptent ces albums à la fureur viscérale. Pourquoi ? Parce que le ghetto c’est cette banlieue terne, immobile, exclue, ignorée et pauvre : « banlieusards et prolétaires », selon les propres mots de Kery James.
La saveur de la licence
Si la violence caractérise le rap, les textes sont cependant travaillés et dérogent au préjugé de lacune sémantique. Disiz incite son public à vaincre les rimes faciles et la vulgarité illégitime dans son titre « Mon Amour » : « Tu te confines dans un langage qui te restreint fréro ». Aussi, les références et les valeurs des rappeurs français prônent la justice et le social comme en témoigne « Alien » de Milk Coffee & Sugar, qui cite Bourdieu en préliminaire de son titre. Sa chanson évoque la tolérance et brise les clichés de la banlieue. Les références et les inspirations sont donc loin d’être ineptes.
Pour Nidraj, les sources d’inspiration sont hétérogènes : « Mes inspirations et mes références sont trop nombreuses pour être listées. Boris Vian, Brassens, Renaud mais aussi Oxmo Puccino, IAM, Puzzle … En littérature, mes grands classiques sont 1984 ou le Meilleur des Mondes ainsi que les haïkus. Les haïkus sont des poèmes japonais écrits sous la spontanéité. Pour moi, c’est le même processus qu’avec le rap car si on réfléchit trop, nos textes s’enlisent, et perdent de leur fraîcheur et de leur hargne. »
En sortant des sentiers battus, ils revendiquent fièrement leur identité tourmentée. Le rap théâtralise et met en scène ce refus de la jeunesse de s’assoupir, asphyxié par un chloroforme social et bourgeois. « C’est avec une clé de sol que j’suis venu pour rayer ta porche » (Nidraj, « Entre les lignes »).
Si la violence caractérise le rap, les textes sont cependant travaillés et dérogent au préjugé de lacune sémantique. Disiz incite son public à vaincre les rimes faciles et la vulgarité illégitime dans son titre « Mon Amour » : « Tu te confines dans un langage qui te restreint fréro ». Aussi, les références et les valeurs des rappeurs français prônent la justice et le social comme en témoigne « Alien » de Milk Coffee & Sugar, qui cite Bourdieu en préliminaire de son titre. Sa chanson évoque la tolérance et brise les clichés de la banlieue. Les références et les inspirations sont donc loin d’être ineptes.
Pour Nidraj, les sources d’inspiration sont hétérogènes : « Mes inspirations et mes références sont trop nombreuses pour être listées. Boris Vian, Brassens, Renaud mais aussi Oxmo Puccino, IAM, Puzzle … En littérature, mes grands classiques sont 1984 ou le Meilleur des Mondes ainsi que les haïkus. Les haïkus sont des poèmes japonais écrits sous la spontanéité. Pour moi, c’est le même processus qu’avec le rap car si on réfléchit trop, nos textes s’enlisent, et perdent de leur fraîcheur et de leur hargne. »
En sortant des sentiers battus, ils revendiquent fièrement leur identité tourmentée. Le rap théâtralise et met en scène ce refus de la jeunesse de s’assoupir, asphyxié par un chloroforme social et bourgeois. « C’est avec une clé de sol que j’suis venu pour rayer ta porche » (Nidraj, « Entre les lignes »).
Lyrisme délinquant
Cependant des Keny Arkana, Milk Coffee & Sugar Oxmo Puccino, Disiz, IAM, Nidraj & Cie résistent. Disiz : « Je travaille mes textes car c’est pour moi la valeur première d’une personne qui a la prétention d’écrire. Le rap est une poésie, un assemblage d’émotions et de teintes qui se juxtaposent habilement sur un rythme donné. » Avec la naissance du rap français, l’hexagone assiste à l’émergence d’une nouvelle poésie urbaine. Mais les poètes sont maudits, à l’instar de Baudelaire.
Exilé d’un système bourgeois, le rap subit le mépris de ses pairs. Il semble alors être le digne héritier d’une poésie engagée qui a ému notre fin du 19e siècle. Souvenez-vous, ce spleen suffocant d’« Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux / oublié sur la carte et dont l’humeur farouche / ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche » (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXVI). N’est-il pas semblable à celui qui paralyse à son tour les jeunes de banlieue ? La caméra mutine de Kassovitz met en évidence ce quotidien d’inertie malsaine dans La Haine.
Enfin, cette complicité entre poésie et violence est-elle vraiment inédite ? Le rap n’est-il pas une réédition de la transgression poétique grâce à son vocabulaire moderne et ses thèmes séditieux ? « Laissez moi être un problème à ceux qui veulent me soumettre » (« Alien » de Milk Coffee & Sugar). En racontant son histoire avec ses mots, le rappeur se métamorphose en photographe d’une époque et laisse une empreinte sur cette immensité d’indifférence.
Cependant des Keny Arkana, Milk Coffee & Sugar Oxmo Puccino, Disiz, IAM, Nidraj & Cie résistent. Disiz : « Je travaille mes textes car c’est pour moi la valeur première d’une personne qui a la prétention d’écrire. Le rap est une poésie, un assemblage d’émotions et de teintes qui se juxtaposent habilement sur un rythme donné. » Avec la naissance du rap français, l’hexagone assiste à l’émergence d’une nouvelle poésie urbaine. Mais les poètes sont maudits, à l’instar de Baudelaire.
Exilé d’un système bourgeois, le rap subit le mépris de ses pairs. Il semble alors être le digne héritier d’une poésie engagée qui a ému notre fin du 19e siècle. Souvenez-vous, ce spleen suffocant d’« Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux / oublié sur la carte et dont l’humeur farouche / ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche » (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXVI). N’est-il pas semblable à celui qui paralyse à son tour les jeunes de banlieue ? La caméra mutine de Kassovitz met en évidence ce quotidien d’inertie malsaine dans La Haine.
Enfin, cette complicité entre poésie et violence est-elle vraiment inédite ? Le rap n’est-il pas une réédition de la transgression poétique grâce à son vocabulaire moderne et ses thèmes séditieux ? « Laissez moi être un problème à ceux qui veulent me soumettre » (« Alien » de Milk Coffee & Sugar). En racontant son histoire avec ses mots, le rappeur se métamorphose en photographe d’une époque et laisse une empreinte sur cette immensité d’indifférence.
-Quelques sons pour les amateurs de textes engagés et de paroles transcendantes :
De l'engagement d'IAM de "Petit frère" et de "L'empire du côté obscur" à la poésie de l'Indis dans "La dernière embrassade" en passant par la haine de Lunatic dans "Pas l'temps pour les regrets", le vrai rap, beau et fort, passionne et éveille les générations actuelles tel un Victor Hugo ou un Baudelaire en son temps.